Patricia Petibon illumine la Manon provoc’ d’Olivier Py
Par Maxime Grandgeorge
Les Trois Coups
À l’occasion des retrouvailles de « Manon » de Massenet avec l’Opéra Comique, Olivier Py signe une mise en scène kitsch et provocatrice dans laquelle Patricia Petibon resplendit de mille feux.
Après avoir monté ensemble un Dialogue des Carmélites d’exception, Olivier Py retrouve sa muse, la soprano Patricia Petibon, pour redonner vie à l’un des opéras comiques les plus célèbres du répertoire français : Manon de Jules Massenet. Créée en 1884 sur la scène de l’Opéra Comique, cette œuvre lyrique est l’adaptation du roman de l’abbé Prévost, L’histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, publié en 1731, et dont la réputation sulfureuse a traversé les siècles. Le scandale de cette histoire d’amour hors normes avait été quelque peu atténué par Jules Massenet et ses librettistes, Henri Meilahc et Philippe Gille, à la fin du XIXe siècle. Olivier Py redonne aux deux amants toute leur puissance et leur ambiguïté dans une mise en scène kitsch et provocatrice.
Manon raconte la relation tourmentée de Manon Lescaut, jeune femme de seize ans accusée « d’aimer trop le plaisir », et du chevalier des Grieux, noble un peu naïf. L’action, qui se déroule originellement au début du XVIIIe siècle, en plein accès de libertinage, est transposée dans une époque proche de la nôtre. Le décor de Pierre-André Weitz, partenaire de longue date de Py, nous plonge dans un quartier chaud et mal famé, dont les néons d’hôtel colorés ne sont pas sans rappeler le Red District d’Amsterdam. Des barreaux et des grilles installés aux portes et aux fenêtres du décor donnent l’impression que les personnages sont enfermés dans une prison malpropre, vision prémonitoire du sort réservé à Manon.
Jeu, sexe et débauche
Olivier Py souligne le caractère sulfureux du spectacle dès le premier tableau, en mettant l’accent sur la prostitution et le vice. On peut y voir des femmes à moitié nues chevauchant des hommes se traînant à quatre pattes dans une ambiance très BDSM. Lorsque l’hôtelier annonce que le dîner est servi, c’est une ribambelle de prostituées vêtues de bas résille et de corsets qui se présente aux clients visiblement affamés. Les corps nus de femmes et d’hommes viennent rappeler durant tout le spectacle avec une certaine insistance qu’il est avant tout ici question de plaisir charnel. À tel point que la scène de jeu d’argent à l’Hôtel Transylvanie, à l’acte IV, manque de se transformer en orgie.
La mise en scène d’Olivier Py, qui flirte volontairement avec le mauvais goût, donne à voir avec originalité et inventivité un univers où l’excès est roi. Le tableau du Cours la Reine, parenthèse festive au milieu de l’œuvre, donne ici lieu à une revue de cabaret avec froufrous et paillettes, où des danseurs bouffons se donnent en spectacle. Pour matérialiser l’hésitation de des Grieux à rentrer dans les ordres à la fin de l’Acte III, Olivier Py a recours à un jeu d’ombres stylisé qui rappelle les génériques sensuels des films de James Bond, où se déhanchent des silhouettes de femmes dénudées. Ne reculant devant rien pour servir son propos, Py multiplie les effets burlesques (masques de squelette, démon et animaux), tombant parfois dans le ridicule. C’est le cas de la scène de l’Hôtel Transylvanie, au cours de laquelle Manon et des Grieux apparaissent travestis en costumes du XVIIIe. Si Manon porte bien l’habit d’homme, le personnage de Des Grieux est assez grotesque en robe rouge bouffante.
Une Manon éblouissante
Les quelques excès de la mise en scène sont rapidement oubliés grâce à la présence électrisante de la merveilleuse Patricia Petibon. La soprano éclipse ses partenaires, pourtant méritants, avec son talent et son charme. Elle interprète une Manon pleine de finesse et d’ambiguïté, à la fois naïve et manipulatrice, innocente et sexy, fragile et orgueilleuse. Chanteuse hors-pair et comédienne habile, elle excelle autant dans les passages joués que chantés. Ses vocalises aériennes sont sublimes lorsqu’elle chante « Je suis encore tout étourdie » (Acte I) et sa voix déchirante dans la scène de l’entrevue à Saint-Sulpice (Acte III). Elle est tour à tour majestueuse dans le tableau de l’Hôtel Transylvanie (Acte IV) et bouleversante dans la scène finale.
Frédéric Antoun, qui forme avec elle un très beau duo, incarne un Chevalier des Grieux puissant et vibrant. Jean-Sébastien Bou est parfaitement convaincant dans le rôle de Lescaut, gai luron et cousin de Manon. Laurent Alvaro est imposant en Comte des Grieux, et Damien Bigourdan ridicule à souhait dans le rôle du perfide Guillot de Morfontaine. Le casting est complété par Philippe Estéphe, équivoque Monsieur de Brétigny, et les charmantes Olivia Doray, Adèle Carvet et Marion Lebègue, qui interprètent les rôles de Poussette, Javotte et Rosette.
Cette nouvelle production de Manon surprend par son originalité et sa radicalité. La mise en scène d’Olivier Py, qui ne sera pas du goût de tout le monde, met parfaitement en valeur l’univers vicieux et sordide qui explique que le roman de l’abbé Prévost ait fait scandale. La partition est magnifiquement servie par le chef Marc Minkowski et l’orchestre des Musiciens du Louvre, qui donnent à la musique de Massenet toute son ampleur et son émotion. Enfin, Patricia Petibon transcende l’ensemble dans une prestation inoubliable. ¶
Maxime Grandgeorge
Manon, de Jules Massenet
Direction musicale : Marc Minkowski
Mise en scène : Olivier Py
Avec : Patricia Petibon, Frédéric Antoun, Jean-Sébastien Bou, Damien Bigourdan, Philippe Estèphe, Laurent Alvaro, Olivia Doray, Adèle Charvet, Marion Lebègue, Antoine Foulon, et en alternance Pierre Guillon et Loïck Cassin, David Ortega et Simon Solas. Danseurs : Ivo Bauchiero, Charlotte Dambach, Ivanka Moizan, Claire-Marie Ricarte, Laurine Ristroph, Laura Ruiz Tamayo, François Vincent, Jorys Zegarac
Durée : 3 h 15 environ
Photo : © Stefan Brion
Opéra Comique • Place Boieldieu • 75002 Paris
Du 7 au 21 mai 2019
De 6 € à 138 €
Réservations : 01 70 23 01 31
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Le Postillon de Lonjumeau d’Adolphe Adam, par Maxime Grandgeorge